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7 octobre 2020 3 07 /10 /octobre /2020 17:34

Vue de très loin, au télescope des milliards d’années, l’histoire de l’univers, de la terre et de l’homme peut ressembler à une magnifique et harmonieuse musique de sphères ascendantes. En revanche, plus on se rapproche, plus on regarde près de nous, plus cela grouille dans l’immonde, même sans microscope. On y voit pourtant, de ci de là, de merveilleuses pépites. On ne peut concilier ces deux aspects contradictoires sans changer radicalement de point de vue, pour un point de vue qui ne soit ni lointain, ni rapproché, mais les deux à la fois. Donc un point de vue qui ne peut pas être nôtre. Il y faudrait une révolution plus que copernicienne.

De notre point de vue naïf, celui du jardin terrestre, le soleil tourne autour de la terre. Pour passer au point de vue de Copernic, il suffit d’un peu d’imagination, il suffit de contempler le système solaire depuis un point qui lui est extérieur. Cela, notre cerveau sait le faire, grâce à l’imagination. Mais pour comprendre l’ensemble de l’univers tel que la science le définit aujourd’hui, il faudrait adopter un point de vue qu’on ne peut atteindre par l’imagination. En effet la nouvelle cosmologie, celle d’Albert Einstein, parle d’un espace-temps à quatre dimensions. Nous pouvons à  la rigueur le concevoir, mais il reste hors de tout imaginaire, car notre imaginaire, comme nos perceptions d’où il vient, est tridimensionnel.

Pour ma part, comme beaucoup, j’ai recours à un subterfuge. Je réduis par la pensée à deux dimensions, à une surface, notre univers présent à trois dimensions. Cet univers présent n’est alors pour moi que la surface, ou l’enveloppe, de l’univers réel, l’espace-temps, l’univers à quatre dimensions, que je me représente en trois dimensions, sous l’univers présent. Et mon moi présent n’est de même que la surface de l’être réel que je suis, c’est-à-dire un être à quatre dimensions immergé dans l’espace-temps, avec tout mon passé.

On peut donc distinguer l’univers ou nous vivons, un univers tridimensionnel se déplaçant le long de l’axe du temps auquel il est perpendiculaire, et l’univers réel, un univers quadridimensionnel dont l’axe temporel n’est qu’une dimension, comme les trois dimensions spatiales. Notre univers tridimensionnel n’en est que la surface, une surface qui monte à mesure que grandissent les trois dimensions spatiales avec la dimension temporelle. Donc, à notre mort, seule la surface de notre être réel disparaît à la surface de l’univers réel. Mais à l’intérieur de l’univers réel demeure notre être réel constitué de nos surfaces successives passées. Il faut concevoir notre vie comme la gestation de notre être réel, et notre mort en est la naissance.

Il est impossible d’imaginer ce qu’est cet être réel profond, bien qu’il soit fait de l’enchaînement de nos êtres de surface. En tout cas, hors surface, il ne vit pas : hors surface, il ignore le déplacement le long du temps, il est éternel. Plus exactement, il EST. Or c’est le déplacement le long du temps qui crée pour nous les événements. Il crée en particulier le malheur, c’est-à-dire ce qui peut amoindrir ou assombrir, et finit par détruire, notre être tridimensionnel de surface. Tandis que le bonheur est pour lui un épanouissement, le malheur en effet est un événement qui agresse notre être tridimensionnel de surface, au physique, et surtout au psychique. L’être de surface dispose cependant de moyens psychiques (en particulier le sens de la beauté, l’art) qui lui permettent de résister, parfois victorieusement, à cette agression, et d’en sortir agrandi. C’est sans doute ce qu’Aristote appelait la « katharsis » (Poétique 1449 b 26). Ce n’est pas une suppression du malheur, mais un épurement des sentiments pénibles qu’il provoque. Que cette « katharsis » s’opère ou non, l’être de surface survit en tout cas au malheur. Il n’est que la mort pour triompher finalement de lui.

 Mais le déplacement sur l’axe du temps ne peut pas détruire notre être réel profond. Il ne peut que prolonger ou achever sa construction. Pour l’être réel donc, l’opposition du bonheur, croissance et conservation, et du malheur, diminution et destruction,  n’a pas de sens. Pour l’être réel profond, tout ce qui nous arrive en surface est construction et conservation. Il continue à croître même quand l’être de surface diminue. Il demeure quand l’être de surface disparaît. Ce que nous appelons bonheur et malheur ne peut produire en lui que des zones contrastées, comme pour nous le large et l’étroit, le blanc et le noir. On peut même penser qu’elles peuvent se valoriser l’une l’autre, comme dans un tableau.

C’est peut-être ce que veut suggérer le peintre Soulages, lorsqu’il cherche à faire resplendir la lumière du noir (« l’outrenoir »). C’est la quintessence de l’art : faire briller ce qui est sombre, transformer les émotions pénibles du malheur en émotions de bonheur (« katharsis »). Il n’est d’ailleurs pas anodin que pour l’être humain, l’art, le sens de la beauté, soit le seul élément qui échappe à l’histoire et au progrès : il a quelque chose de l’éternité. Nous avons abandonné les techniques et les morales de nos lointains prédécesseurs, mais nous admirons toujours leurs œuvres. Elles résistent au déroulement du temps. Le sens de la beauté, l’art, peut être pour l’être de surface que nous sommes un baume du malheur (« katharsis »). La religion aussi peut apaiser, être un baume du malheur, mais au prix du mensonge  (et si on transforme ses soi-disant vérités en mythes, cela devient de l’art).

Voici bien l’impensable révolution, vraiment plus que copernicienne, selon laquelle le malheur est relatif à notre être de surface : il n’est pas un absolu. C’est à ce prix seulement qu’on peut résoudre les problèmes qu’il pose. Le malheur reste inacceptable pour l’être de surface à trois dimensions que nous croyons être et qu’il tend à détruire. Mais pour l’être réel quadridimensionnel que nous sommes, il n’existe pas puisqu’il est lié au déplacement sur l’axe du temps, qui ne concerne que la surface. C’est donc seulement en quittant notre point de vue d’être tridimensionnel soumis au temps, et en adoptant ce point de vue quadridimensionnel que nous pourrions répondre à l’exigence formulée par le philosophe analytique (théiste) Paul Clavier : « (Dieu) n’a pas le droit moral d’abandonner ses créatures au pouvoir définitif de la mort et de la destruction, à moins qu’on admette que, tout compte fait, il est meilleur pour une créature d’avoir existé, quoi qu’il lui en coûte de souffrances, que de n’avoir pas existé (auquel cas on aurait déjà résolu le problème général de la théodicée : la simple bonté d’exister annulerait toute réclamation contre les tribulations, les douleurs et les souffrances endurées au cours de l’existence. Il y aurait ipso facto compensation). » (Revue philosophique numérique Klèsis, 17, 2010, p. 59).

Cet effacement du malheur dans l’être quadridimensionnel est déjà dur à concevoir pour nous, êtres tridimensionnels de surface inexorablement exposés à ses atteintes. Mais qu’en est-il du mal ? Qu’en est-il de l’injustice ? Si on a dans la construction de l’être quadridimensionnel une « compensation » immédiate au malheur présent dans notre monde tridimensionnel, est-ce que cet être quadridimensionnel offrirait aussi un retournement de la perversité, de la cruauté présente dans notre monde tridimensionnel ? C’est que les méchants sont généralement dans les conflits ceux qui survivent le plus, ceux qui gagnent, ceux donc dont l’être profond continue de grandir. Peut-on justifier ce scandale ?

 Pour tenter d’y échapper, je me dis que si tous les malheureux ne sont pas méchants, tous les méchants sont des gens malheureux. Le plus souvent, ils triomphent et ignorent leur malheur, et c’est encore pire, car c’est le malheur quadridimensionnel. Ce qui m’oblige à penser qu’il existe malgré tout un malheur quadridimensionnel, lequel serait irrémédiable, éternel, donc bien pire que le malheur tridimensionnel.

Les méchants sont des gens malheureux qui croient combattre leur malheur grâce au malheur d’autrui. Mais en fait ils le nourrissent : en  cherchant à rétrécir l’être physique et psychique de leurs victimes, c’est d’abord leur propre être profond qu’ils isolent et rétrécissent, même quand leur être de surface est florissant. Leur être réel profond en est tout racorni le long de l’axe du temps. Parce qu’il n’est plus relié aux autres êtres profonds. Autour d’eux dans l’univers profond se creusent des vides, des déchirures. Ils sont de plus en plus isolés, tant que leur être de surface ne se rouvre pas aux autres êtres humains de surface.

Les premières communautés humaines sont nées du dialogue qui permet entre les être humains un nouveau type de solidarité, non plus seulement animale. Mais cette solidarité proprement humaine, dès les origines, était très parcellaire et très lacunaire. L’évolution morale de l’humanité est liée à la lutte contre lacunes et ruptures. Si l’humanité s’est toujours donné des valeurs, qui ont beaucoup varié, c’est pour augmenter et améliorer la solidarité entre ses membres. Je considère que le sadisme, la cruauté, l’indifférence, est une rupture de ce contrat humain (rupture de l’empathie). Malheureusement, souvent cette rupture de solidarité affecte tout un groupe d’êtres humains. Le racisme en est la principale manifestation, mais pas la seule. L’ensemble humain est plein de déchirures. On est encore bien loin du point Ôméga, sans rupture de solidarité, dont rêvait Teilhard de Chardin.

 

(à suivre)

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17 septembre 2020 4 17 /09 /septembre /2020 08:39

III

Ce que je pense… III

 

Surtout, mes intérêts s’étaient portés de plus en plus vers la philosophie. Mais pas n’importe quelle philosophie. Bien des textes de philosophie du microcosme français actuel me tombent des mains. À ma retraite, j’ai donc lu certains des  anciens (Boèce, Spinoza, Nietzsche). Des modernes, j’ai retenu ce qui me semblait à ma portée, c’est-à-dire pas trop abstrus, surtout quand je pouvais définir mes positions, accords et désaccords, envers ce que je lisais. C’est ainsi que j’ai lu avec intérêt les ouvrages d’André Comte-Sponville : en en prenant le contre-pied. Il prône la fidélité sans la foi. J’ai choisi la foi sans la fidélité.

 Dès la classe terminale du lycée, j’avais commencé à m’initier. Mes deux auteurs favoris de cette époque étaient Jean-Paul Sartre et Albert Camus. Je ne voyais pas d’incompatibilité entre l’existentialisme qui veut l’homme libre et la révolte devant l’absurde et l’injustice. Lorsque je me suis rendu compte que je ne pouvais adhérer à la foi chrétienne qui avait été à la base de mon éducation, si je ne voulais pas être schizophrène, ces deux auteurs m’ont aidé à construire une foi de substitution, la foi humaniste. Je crois que c’est aujourd’hui la seule foi qui soit raisonnable.

 Mais il s’agit bien d’une foi, car d’une part la revendication existentialiste de notre liberté n’est pas du tout garantie par l’observation du monde. D’autre part, la révolte contre le monde tel qu’il va suppose en l’être humain la reconnaissance de valeurs non fondées sur l’expérience du réel. Mais contrairement aux croyances de la foi chrétienne, ce sont des croyances qui ne contredisent pas ouvertement la science et la logique. En outre, cette foi n’impose aucun dogme, aucun « savoir » définitif. La déclaration universelle des droits de l’être humain n’est pas un catéchisme immuable, mais une étape. L’être humain n’est véritablement humain que s’il cherche à dépasser l’humain. Je crois que c’est ce que Nietzsche appelait l’Übermensch, non pas le surhomme, mais le surhumain. En fait, pour être humaniste, il faut d’abord être misanthrope, mais pour améliorer, pas pour rejeter.

Aujourd’hui beaucoup de gens se disent humanistes. Mais la foi humaniste a des implications très fortes, que peu de gens sont prêts à assumer. Il s’agit d’abord de la croyance au progrès. En ce qui concerne le passé de l’humanité, je considère que le progrès est plus un fait d’observation qu’un fait de croyance, car je prends pour progrès l’extraordinaire évolution accomplie par homo sapiens, avec à l’origine quelques uns de ses proches, comme l’homme de Neandertal. Je sais que l’histoire n’est pas allée en ligne droite. Il y a eu de terribles reculades. Je sais aussi qu’il est un domaine où on ne peut parler de progrès, c’est celui de l’art : l’art pariétal des cavernes n’a rien à envier aux fresques de Picasso. Quant au progrès technique (amélioration des moyens) et au progrès moral (amélioration des valeurs), ils n’avancent pas de concert. Mais le mouvement global passé est un progrès et la question est : est-ce que cela va continuer, et jusqu’à quand ?

Il est une foi humaniste, à laquelle je peine à adhérer pleinement, qui fait dire qu’un seuil a été franchi, un seuil au delà duquel l’espèce humaine n’est plus une espèce comme les autres et échappe partiellement à l’évolution naturelle. Les premières communautés humaines se seraient distinguées de toutes les communautés animales grâce à l’instauration en elles d’un nouveau type de solidarité. Cette nouvelle solidarité aurait eu pour vecteur un nouveau type de langage, le langage humain. Des linguistes comme Émile Benveniste ont montré en quoi le langage humain diffère des langages animaux : il permet le dialogue. C’est un instrument qui crée un nouveau type de société, une nouvelle solidarité. Mais c’est aussi un instrument à double tranchant. Favorisant l’empathie, il écarte habituellement la violence animale, mais, mal employé, il peut aussi l’exacerber.

L’être humain donc, selon cette foi, ne disparaîtra pas comme un vulgaire dinosaure. Cette foi humaniste fait dire qu’au-delà de catastrophes plus ou moins prévisibles, l’être humain va continuer à exister, à se corriger, à progresser. Elle fait dire en somme que la fin de l’être humain serait la fin de l’histoire et du monde. Selon cette foi humaniste, l’être humain n’est plus au centre d’un univers en trois dimensions, comme le voulaient les anciennes cosmogonies, en particulier celle de la Bible. Mais il est au sommet de l’univers à quatre dimensions qu’enseigne la relativité générale, à l’antipode de sa base, qu’on appelle le big-bang. Au sommet de cet univers, l’être humain en est le sens, la direction, la boussole. Mais il n’en est pas le Pôle Nord. Il ne faut pas oublier que le temps continue. Avec l’univers, qui est en expansion, l’être humain est en devenir. Voilà qui peut nous consoler un peu de ses abominables imperfections.

Cette foi humaniste a été illustrée en particulier au vingtième siècle par le jésuite Pierre Teilhard de Chardin avec sa « Noogénèse », développement de l’être humain, et son « point Ômega » vers lequel tendrait l’univers et l’être humain avec lui. Je trouve étrange que ce jésuite n’ait pas reconnu que sa vision d’une évolution cosmique puis terrestre, naturelle puis humaine, n’était pas compatible avec les dogmes chrétiens. Ceux-ci en effet impliquent un monde achevé. Pourtant,  il a lui-même souligné le divorce entre l’ancienne conception et la nouvelle : « L’Homme, non pas centre statique du Monde, — comme il s’est cru longtemps ; mais axe et flèche de l’Évolution, — ce qui est bien plus beau » (Le Phénomène humain, p.24). Il a été condamné, puis réhabilité, par les autorités catholiques. Cette hésitation de leur part est pour moi le signe que celles-ci ont elles-mêmes beaucoup de peine à rester dans le cadre de leurs dogmes, et que, subrepticement, elles évoluent. On peut donc maintenant passer pour chrétien sans jamais parler de résurrection (contrairement à ce que disait mon gourou).

Teilhard de Chardin, culturellement trop plongé dans le christianisme, n’a pas su en voir la relativité, aussi bien spatiale que temporelle, ni comprendre la crise où cette religion se trouve aujourd’hui. Ses thèses peuvent passer pour une sorte de mise à jour, dans le but de la rendre plus conforme à la science moderne. Pour cela il se garde bien de faire allusion au contenu du Credo chrétien. L’histoire du Nazaréen mort sur la croix et soi-disant ressuscité ne cadre guère avec sa vision d’un Christ cosmique. Mais ce Christ cosmique, point Oméga, terme de l’évolution, il est amené par la théologie chrétienne à l’affirmer comme déjà présent et actif, « prenant la conduite et la tête de ce que nous appelons maintenant l’Évolution » (Le Phénomène humain, p. 296). Ceci nous rapproche des thèses du « dessein intelligent », tout en contredisant son affirmation répétée ailleurs des « tâtonnements » de l’évolution, affirmation plus conforme au darwinisme et à notre expérience plus que millionnaire des catastrophes, naturelles puis aussi humaines.

Manifestement, il n’y a pas de guide omniscient et tout puissant. C’est l’humanité qui est devenu son propre guide en osant se déclarer libre et en osant se donner des valeurs. Mais elle erre beaucoup, surtout quand elle se donne aussi de prétendus guides. Prenant son évolution à son compte, elle fait souvent pire que l’évolution naturelle. Il n’empêche que nous sommes bien obligés de constater que depuis ses origines elle a progressé. Et de plus, nous ne serions plus dignes d’être appelés « êtres humains » si nous renoncions à vouloir progresser, d’erreur en erreur.

 Comme toutes les théologies, la théologie de Pierre Teilhard de Chardin est incapable de faire accepter le scandale du mal, sous ses deux aspects complémentaires, le malheur et la cruauté. Or c’est justement chez les organismes les plus évolués, et tout particulièrement chez l’être humain, que ce double scandale se développe et éclate le plus. Un terrible hiatus s’est développé et s’enfle entre l’évolution triomphante qui produit des êtres de plus en plus complexes, de plus en plus perfectionnés, et l’horreur de ce qui l’accompagne. Il ne sert à rien d’arguer que nous sommes dans le meilleur des mondes possibles, que les faux pas de l’évolution et de l’histoire sont nécessaires à leurs progrès, que c’est le prix de notre liberté. Pas plus que l’eschatologie du « Royaume de Dieu », celle du « point Oméga » ne peut nous faire accepter le présent tel qu’il va. Aucune justification n’est possible, puisque le mal est par définition l’injustifiable.

(à suivre)

 

 

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4 mars 2020 3 04 /03 /mars /2020 10:36

 

Ce que je pense… II

 

J’ai donc fini par opter pour une attitude raisonnable, brisant les miroirs aux alouettes. J’attribue au bon sens paysan natal ce retour au réalisme, loin de toutes les brumeuses échappatoires dont je m’étais gavé. La chance m’a permis de trouver chaussure à mon pied et j’ai été assez sage pour saisir cette chance. J’ai fondé une famille sur des bases qui me semblaient solides, et qui de fait l’étaient, dans le milieu petit bourgeois dont je m’étais cru exclu. Du coup, grâce à ma nouvelle famille, j’ai pu me réconcilier avec ma famille d’origine, qui n’était plus pour moi un obstacle. Entre temps j’étais redevenu un bon élève, ou plutôt, désormais, un étudiant assez brillant. Et pas seulement à cause du besoin, vital pour moi, de réussir un concours de recrutement.

J’avais découvert une nouvelle matière à étudier, pourtant rébarbative et redoutée de mes camarades étudiants : la philologie. Elle convenait à mon esprit plus scientifique que littéraire. Elle m’a ouvert la voie vers la linguistique. Celle-ci s’est révélée pour moi une porte privilégiée vers la connaissance essentielle, celle de l’être humain. J’avais en outre la chance de l’étudier à partir des plus importants textes de la civilisation européenne, ceux de la civilisation grecque antique. Grâce aux difficultés de la langue, je me suis vite convaincu qu’il n’y avait pas d’étude littéraire sérieuse sans une approche linguistique minutieuse. Quand un texte a du répondant, c’est en l’analysant minutieusement qu’on en découvre les richesses. C’est donc sur des problèmes de linguistique grecque que j’ai orienté mes recherches d’enseignant-chercheur après l’agrégation, de grammaire bien sûr.

Pendant toute cette période, de dix-huit à vingt-six ans, je me suis peu à peu éloigné des pratiques chrétiennes. Je ne les respectais plus que pour complaire aux familles. Quant aux croyances, je leur ai retiré leur valeur historique pour n’y voir qu’un ensemble de mythes, avec cependant une richesse humaniste parfois supérieure à celle des mythes païens. En ce sens, je n’ai pas perdu la foi, mais ma foi est devenue une foi humaniste. J’ai continué à croire que la vie avait un sens et méritait d’être vécue. Mes lectures d’Albert Camus ne m’ont pas laissé au simple constat de l’absurde. Je ne me suis pas suicidé, je n’ai pas sombré dans le nihilisme, parce que j’ai toujours cru au progrès. Certes, je trouvais l’univers absurde et l’homme bien méchant, mais je pensais que tous deux valent mieux que ce qu’ils sont.

À vingt-six ans, de trop tardives obligations militaires ont perturbé ma nouvelle existence familiale et professionnelle. Mais elles m’ont aussi donné le temps libre nécessaire pour compléter mon nouvel état mental par un apport décisif. C’est à ce moment que la théorie de la relativité générale m’a mis en tête que le monde tridimensionnel où nous vivons et que nous prenons pour la réalité n’est en fait que la surface d’une réalité quadridimensionnelle. Cette conception allait changer ma vision de l’univers devenu un espace-temps où le passé, contrairement à ce que disait Saint Augustin, n’a pas disparu.

Elle changeait surtout ma vision de moi-même et résolvait le problème de la mort qui n’était plus mon anéantissement, mais seulement la fin de ma construction. Elle me libérait aussi du dualisme d’un corps et d’une âme, prétendus séparables dans l’enseignement que j’avais reçu. J’ai redonné tout son sens à l’étymologie : l’âme, vie et pensée, n’est qu’un souffle animant un corps (l’activité des neurones), comme le vent anime l’air. Pas de vent sans air animé, pas d’âme sans corps animé ! Si le corps s’étend dans les trois dimensions de notre univers, l’âme ne s’étend que sur le fil du temps, la quatrième dimension. L’idée de survie de l’âme et de résurrection, qui est au centre de la tradition chrétienne et qui avait tant perturbé mon enfance, devenait absurde et surtout inutile.

Sur ces bases, j’ai modestement construit ma vie, familiale et professionnelle, comme on construit la route que l’on parcourt, en m’identifiant à elle et non à un but. Je n’allais pas à Rome. Je ne savais pas où j’allais, je pratiquais le beau métier de chercheur, me satisfaisant de mes petites trouvailles, plus soucieux de cohérence que de fidélité. Dans mon enseignement, les cours théoriques m’ont vite ennuyé. Car je n’y pouvais enseigner que les théories trop bien établies. En revanche, je me suis souvent passionné pour les analyses de textes, car mes textes recélaient des pépites que, grâce aux efforts de l’étude grammaticale et stylistique, je découvrais et essayais de faire découvrir à mes étudiants. Pour moi, la pensée grecque se caractérise surtout par le sens du tragique, un tragique sans échappatoire, comme l’absurde d’Albert Camus. Celui-ci s’exprime chez les poètes tragiques bien sûr, mais déjà dans les textes d’Homère (avec mention spéciale pour le dernier chant de l’Iliade), et aussi chez les historiens, surtout Thucydide.

Platon est la grande exception, il n’est pas tragique. Je me suis très tôt passionné pour ses dialogues les plus mis en scène, ceux qui sont de véritables comédies, les plus vivants, les plus astucieux (surtout le Banquet et Phèdre). Mais j’y ai aussi découvert l’origine des deux théories qui ont durablement, selon moi, pollué les civilisations occidentales. La théorie d’une âme prisonnière du corps et celle d’un monde surnaturel supérieur où finalement elle peut s’échapper, comme si le vent pouvait exister sans l’air. Cette conception du salut dans un « au-delà » est entrée dans les religions du monde méditerranéen, y compris dans le judaïsme et tout ce qui s’est ensuivi. Je préfère la sagesse matérialiste d’Épicure, même si la philosophie du Jardin ressemble un peu à la méthode Coué.

Je me suis intéressé à Aristote assez tard, et plus dans le cadre de mes recherches que de mon enseignement. Il paraît d’ailleurs que les plus beaux textes d’Aristote ont disparu. Ce qui nous reste n’a rien de littéraire, ce sont des textes techniques, et par dessus tout ceux de la logique. La rigueur logique d’Aristote corrigeant Platon m’a amené à m’intéresser à la logique moderne. J’y ai découvert une école de philosophie, surtout anglo-saxonne, dite analytique, qui se fonde sur l’analyse logique des textes. Ses travaux ont fait prospérer les études linguistiques internationales à l’époque de mes propres recherches sur les textes grecs. Il y a donc eu pour moi convergence  entre ces travaux internationaux et les miens. Il s’agissait de dévoiler des structures sémantiques cachées sous les structures syntaxiques explicites. Ce fut le projet de ce qu’on a appelé la syntaxe et la sémantique « génératives ». Ce fut surtout le projet d’une nouvelle branche de la linguistique qui mettait les énoncés en relation avec leur contexte : la « pragmatique ». Tout ce fertile mouvement intellectuel a culminé pour moi avec la Grammaire Fonctionnelle d’Amsterdam. Après cela, les circonstances m’ont poussé à m’intéresser à l’histoire de la grammaire, et tout spécialement à son histoire grecque.

Quand l’administration m’a proposé de prendre ma retraite, à soixante-deux ans, j’ai accepté. J’en avais assez des tâches administratives, qui me rebutaient et prenaient de plus en plus de mon temps. Certes, elles sont la source de tout pouvoir dans le petit monde de l’université, mais cela ne m’intéressait pas. De mon enseignement, je n’allais regretter que les cours portant sur des études de textes. Ce n’était pas la majorité. Je pensais en outre que j’allais continuer mes recherches comme avant. Cela a en effet duré un peu, mais j’ai assez vite décroché. J’ai du avoir le sentiment que j’avais découvert tout ce que je pouvais découvrir dans les différents domaines qui m’avaient intéressé, et j’ai toujours été incapable de me répéter. J’ai donc assez vite renoncé aux colloques de linguistique grecque ou d’histoire de la grammaire.

 

(à suivre)

 

 

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30 janvier 2020 4 30 /01 /janvier /2020 10:30

Parvenu à un âge qui aurait jadis passé pour deux fois canonique, me voici plus que jamais pris du désir de dire à d’autres êtres humains ce que je pense. Il se trouve en effet que je « pense », une maladie qui n’est peut-être pas donnée à tous les êtres humains : « Solitaire, à l’écart des êtres humains, je pense » (Eschyle). Ce prurit chez moi n’est pas nouveau, mais j’ai fait peu de tentatives pour l’exhiber. Ce qui m’incite à cette nouvelle tentative est le fait que, depuis que je me gratte, j’ai fini par considérer que cette « pensée » est maintenant bien installée en moi. Comme par ailleurs mon insignifiance ne me permet pas de me prévaloir d’autres caractéristiques, je fais mienne la formule cartésienne « Cogito, ergo sum », en allant même jusqu’à remplacer le « ergo » par un signe d’équivalence, je ne suis que la pensée que je suis.

On se met à penser quelque chose par réaction contre ce qu’on nous a appris. C’est pourquoi, il me semble utile, pour dire ce que je pense, de dire d’abord ce qu’on m’a appris et comment je m’en suis dépris (ou non). Je vais donc pour commencer faire une brève esquisse de mon histoire mentale. Je précise que ce qui m’importe ici, c’est bien l’histoire mentale, et non l’histoire factuelle. J’essaierai donc d’être aussi vague que possible quant aux anecdotes, me contentant sur ce point du strict nécessaire.

J’ai vécu jusqu’à onze ans dans une pauvre ferme très campagnarde, un bout du monde, un trou perdu, loin de tout centre urbain. J’y ai fait connaissance d’animaux, domestiques et autres, de champs et de prés, d’arbres et de buissons, de quelques hameaux et d’un petit bourg central. J’y avais des relations directes avec mes parents, mes frères et sœurs, des camarades d’école, des instituteurs et le curé du village. Je pouvais par ailleurs appréhender indirectement, par des journaux, par des conversations et par une radio crachotante, un reste du monde qui me paraissait bien plus brillant que mon petit monde à moi.

Un tel environnement humblement bucolique m’a profondément imprégné sans que j’en sois bien conscient. Il aurait pu faire de moi un parfait petit païen, comme beaucoup de mes camarades d’alors. Mais ma famille était sous l’emprise de la religion catholique. Or dans ce milieu rural, la religion était l’affaire des femmes et du curé. Les hommes étaient en général indifférents, sinon hostiles. La religion se manifestait essentiellement par des rituels auxquels on pouvait complaire sans se sentir pour autant engagé. Mais moi, fils cadet, travaillant bien à l’école et mal aux champs, j’ai très vite été l’objet de pressions maternelles relayées par le vieux curé du village : par ces pressions, j’étais voué à une promotion sacerdotale qui passait par le séminaire. J’ai pourtant le souvenir, de la part du petit païen que malgré tout j’étais, d’un manque total d’enthousiasme. Mais un jour, vers mes dix ans, j’ai été séduit par les propos quelque peu mystiques de jeunes abbés venus d’ailleurs pour aider le vieux curé. Ce fut pour moi une sorte de miroir aux alouettes. Une nouvelle attirance vers « autre chose » fut sans doute d’abord le rejet de ce qui m’était familier, c’est-à-dire la ferme et son environnement.

Heureusement, l’instituteur laïc du village qui m’avait encouragé dans ma scolarité a obtenu que  j’entre à onze ans, non au séminaire, mais au lycée, promesse d’études plus sérieuses. J’y ai donc continué à être un bon élève jusqu’à la classe de terminale, à dix-huit ans. Mais pendant ces sept années, j’ai été sous la coupe d’un aumônier qui pratiquait lui aussi, et à forte dose, le mysticisme, c’est-à-dire « l’autre chose ». À dire vrai, la vie sacerdotale ne m’attirait toujours pas. Je pensais d’ailleurs très peu à l’avenir, et quand cela m’arrivait je me voyais plutôt réfugié loin du monde, par exemple dans un monastère, à défaut d’ermitage. C’est que j’étais déjà peu sociable. J’étais plus attiré par le mysticisme de l’aumônier que par son enseignement. Cet homme a donc encouragé en moi une aspiration à « autre chose ». Un « autre chose » qu’il appelait le « Royaume de Dieu », et je n’y voyais pas d’inconvénient, puisque ce n’était pas le monde où je vivais. Il faut dire aussi que l’homme épiçait cette aspiration à « autre chose » de l’orgueil de se sentir différent, élu. Il était pour moi comme une figure paternelle qui me faisait échapper à des origines que je rejetais. Il m’aidait enfin à exister dans le milieu citadin du lycée, souvent petit bourgeois, où je me sentais un intrus, de sorte que nulle part je n’étais chez moi.

Seule la crise de l’adolescence a pu interrompre ma sujétion à cet aumônier. Il avait pourtant prononcé, dans un cours d’instruction religieuse, une phrase qui avait provoqué en moi une première brèche dans mon addiction religieuse : nul ne pouvait se dire chrétien s’il ne croyait pas à la réalité historique de la résurrection d’un homme appelé Jésus. Cet aumônier était un intellectuel. Il a prononcé cette phrase avec une certaine véhémence où je crois voir le signe d’un débat intérieur. Il y avait à l’époque déjà des thèses théologiques hérétiques qui accordaient au Christ une réalité plus symbolique qu’historique, comme dans la pensée de Pierre Teilhard de Chardin.

Méditant son honnête et forte phrase, et fort peu intéressé par les textes canoniques, je m’étais déjà dit que je finirais fatalement un jour par  m’exclure. J’avais un fond de bon sens paysan qui contrebalançait les élans mystiques et m’empêchait de trop déraisonner. Il se peut aussi que l’enseignement laïc du lycée ait sapé en sous-main les « vérités révélées ». Mais j’ai surtout vécu à l’approche de l’adolescence, l’expérience d’« autre chose » dans des cadres qui ne devaient rien au « Royaume de Dieu ». C’était, paradoxalement, en deçà même de la ferme détestée, au plus profond de la campagne, dans des lieux de nulle part, un « autre chose » terrestre et sans nom : des prés, des champs et des bois au soleil du printemps.

Puis la crise de l’adolescence a finalement détourné mes regards des beautés célestes vers d’autres beautés terrestres que j’avais trop longtemps ignorées : entre autres, les filles du lycée de filles, dont mon aumônier était aussi l’aumônier. Lui-même, d’ailleurs, favorisait les rencontres entre les deux lycées, cherchant sans doute à perdre ainsi un pouvoir qui devait parfois lui peser. Cette crise eut un effet néfaste : dès ma classe de terminale et pendant trois ans j’ai cessé d’être un bon élève. Mais c’est grâce à cette crise que j’ai à nouveau, à la sortie du lycée, échappé au séminaire, et cette fois de mon propre fait.

Ce fut mon premier acte d’indépendance. J’ai enfin rompu mentalement avec mon gourou. Je suis entré à l’université, dans une faculté de lettres, malgré mon bac de « matheux ». Pendant trois ans, j’y ai végété. Pour les adultes qui m’avaient entouré, le gourou et mes professeurs, ce fut une déchéance. Pour moi, ce fut la difficile conquête de l’autonomie, même envers les beautés féminines qui m’ont un temps perturbé. Je suis devenu un sauvage, de plus en plus un rôdeur de forêts, de trous perdus. C’était l’âge dangereux où l’on se demande quoi faire de sa vie pour qu’elle vaille la peine d’être vécue.

Une petite précision. Malgré mes errements, je ne suis pas tombé dans le gouffre du vagabondage émotionnel et sexuel qui est, de nos jours, de plus en plus à la mode (au moins dans les fictions). Par mon éducation, je me sentais monogame, et par la suite, mon existence l’a confirmé. Je le dois peut-être à mes gènes. Mais je pense encore que la monogamie est pour l’être humain habituellement un choix préférable à la polygamie. Il ne s’agit pas d’obligation religieuse. Mais je constate que la monogamie est généralement préférable pour l’éducation des prématurés que nous sommes tous. Elle me paraît aussi préférable pour assurer une vie plus riche et plus équilibrée aux adultes, si du moins elle est réussie.

 

(à suivre)

 

 

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2 mars 2019 6 02 /03 /mars /2019 10:02

Vivre c'est être hors de soi

Au propre comme au figuré.

mourir c'est rentrer en soi-même

En ouvrant portes et fenêtres.

 

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28 mars 2018 3 28 /03 /mars /2018 10:16

Ce que je (ne) suis (pas)

 

Je ne suis pas l’air qui souffle

Je suis le souffle de l’air

Je suis le vent.

 

Je ne suis pas l’eau qui court

Je ne suis pas la rivière

Ni même le cours d’eau

Je suis le cours de l’eau.

 

Je ne suis pas l’oiseau qui vole

Je suis le vol de l’oiseau

Plané quand je m’endors.

 

Je ne suis pas ce corps vivant

Je suis la vie de ce corps.

Je ne suis pas ce corps pensant

Je suis le pensement de ce corps.

 

Je ne suis pas en mouvement

C’est le mouvement que je suis

Que je suivrai serai jusqu’à l’arrêt.

 

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28 janvier 2018 7 28 /01 /janvier /2018 11:07

 

 

 

 

Bulles chauves nées au miroir de l'eau jaune

Parmi les brins d'herbe touffus et les vieux bidons clos

Qui crèvent...

 

(Une risée de brume serpente autour des barbelés roux qui plongent),

 

Bulles énigmatiques de très lointaine odeur

Pluie creuse renversée pianoteuse d'impromptus sourds

Qui crèvent...

 

(La glaise brune là-bas s'enfonce en des voiles d'extrême lenteur),

 

Bulles successives éphémères obstinées le long des tiges

Inexorablement vidées soudain de vos longs désirs

Qui crèvent...

 

(Mille lieues sous les mares d'ennui d'encore vertes grenouilles vivent),

 

Bulles qui meurent pleureuses des profondeurs

Venues sans retour sans message sans bruit mais

Venues,

 

Quel ours entonnera vot' chant gris

Qu'il coasse dans l'aube?

 

 

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2 novembre 2016 3 02 /11 /novembre /2016 10:51

Bientôt

 

Bientôt se posera sur toi

Ta définitive toiture

Bientôt tu n’auras plus à monter

Vers de nouveaux greniers

Bientôt tous tes étages déployés

À plat te seront rez-de-chaussée

Toutes leurs fenêtres grandes ouvertes

Qui étaient restées désespérément fermées.

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4 avril 2016 1 04 /04 /avril /2016 14:06

“Vivo sin vivir en mi”

Tout ce que je vis

Dès que je le vis

Je l’engrange

Tout en montant vers de nouveaux greniers

Sans jamais habiter dans mes anciens greniers.

“Vivo sin vivir en mi”

Tous mes anciens greniers au loin s’enfoncent

Les voici devenus mes très profondes caves

Dans un univers qui avec moi monte

Monte vers ses futurs greniers.

“Vivo sin vivir en mi”

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6 mars 2016 7 06 /03 /mars /2016 11:22

« Qui veut faire l’ange fait la bête »

(Pascal)

Certes, l’homme n’est ni ange, ni bête.

Mais alors, qu’est-il, et où est-il ? Entre les deux ?

Plus près de l’ange, ou plus près de la bête ?

Mais n’oublions pas qu’il est une bête bipède.

Il s’est redressé pour voir un peu plus loin que ses pieds.

Donc il veut aller quelque part.

Et plutôt que « Où est-il ? », la bonne question est « Où va-t-il ? »

Car on sait d’où il vient. De la bête, justement.

De la bête bien réelle dont il est sorti et s’éloigne à grands pas,

Tout en la traînant encore à ses basques.

Alors, où va-t-il ? Eh bien, vers l’ange par conséquent,

Vers lequel de tout son désir il tend,

Sans pouvoir cependant l’atteindre.

Car l’ange, lui, n’est pas réel, mais virtuel.

C’est bien pourquoi l’homme ne peut pas « faire » l’ange,

Alors qu’il fait très bien la bête.

Mais tout en faisant la bête, c’est vers l’ange qu’il tend,

Depuis ses commencements, et tendra toujours,

S’il ne veut pas « être » une bête.

Mystique :

« Sur la pente du talus les anges tournent leurs robes

De laine dans les herbages d’acier et d’émeraude »

(A. Rimbaud, Illuminations)

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