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24 mars 2015 2 24 /03 /mars /2015 17:33

Dans la troisième partie de Ainsi parlait Zarathoustra, dans le chapitre intitulé « Le convalescent », Zarathoustra, saisi par une « pensée d’abîme » (abgründlicher Gedanke), tombe en catalepsie pendant sept jours. À son réveil, ses animaux le saluent comme « le maître du retour éternel » (du bist der Lehrer der ewige Wiederkunft).

Bien qu’il soit moins connu du grand public que le thème du « surhomme », le thème du « retour éternel » est au moins aussi important dans la pensée de Nietzsche. Mais je le crois aussi mal compris que celui du « surhomme ». La pensée de Nietzsche semble être condamnée aux contresens.

La pensée du retour éternel, en particulier, a été polluée par le rapprochement qui est généralement fait avec l’idée d’un temps cyclique que l’on trouve dans les pensées grecque et orientale. Il est vrai que cette vieille idée avait été familière à Nietzsche dès avant la révélation de 1881, et qu’elle put servir de ferment. Mais il est clair aussi que Zarathoustra ne serait pas le maître du retour éternel, s’il s’agissait toujours de la même idée. Pour devenir une « pensée d’abîme », elle a du subir une mutation totale.

C’est en effet un véritable renversement qui substitue l’affirmation d’une volonté libre et créatrice à ce qui était une conception totalement déterministe. Ce qui revient éternellement est aussi ce qu’on a voulu, ce qu’on veut, ce qu’on voudra. Ce qui revient est donc aussi un jaillissement premier. C’est dire que la pensée nietzschéenne du retour éternel veut concilier deux idées inconciliables, celle du retour et celle de l’inédit.

Il me semble que la solution de cet illogisme repose dans le mot « éternel ». Mais il faut pour cela une révolution copernicienne qui fasse abandonner la conception triviale de l’éternité : ne plus voir l’éternité comme durée infinie, mais comme absence de durée : non ce qui dure et se répète sans fin, mais ce qui se donne tout entier hors de toute durée.

Le retour éternel est dès lors un retour hors du temps, dans l’éternité, de ce qui a été, est et sera vécu dans la durée. Ce retour n’est pas une répétition, mais une retrouvaille. Il n’ajoute pas du temps au temps. Le temps n’y est plus ce qu’il est pour nous, un déroulement, il y est déroulé, déployé, spatialisé. Ce temps ne fuit plus, c’est un « temps retrouvé ». Ainsi déployée, notre vie certes est limitée, mais elle est éternelle.

Mais pour que notre vie puisse être retrouvée déployée, il faut la vivre comme un déploiement. Pour cela il faut que l’humain devienne « surhumain », c’est-à-dire qu’il ne contente pas de ce qu’il est, qu’il ne soit pas sédentaire, mais en voyage, nomade. Le surhumain n’est pas un humain supérieur, il est en mouvement, plus « transhumain » ou « transhumant » que « surhumain ». Son antithèse d’ailleurs est « le dernier homme », qui se définit par son contentement de soi, par son immobilisme, son absence d’espace.

On comprend que Nietzsche ait eu besoin de la poésie pour faire passer un tel message, cette « pensée d’abîme », à la limite de l’illogisme. On comprend aussi que Zarathoustra soit présenté comme un perpétuel incompris, un mal compris. Mais je crois que ce qui était visionnaire et presque incompréhensible au XIXe siècle est plus aisé à comprendre aujourd’hui.

La pensée du retour éternel est en effet devenue pour nous plus accessible à la lumière de la théorie de la relativité générale. Dans un espace-temps, super-univers à quatre dimensions où le temps est spatialisé, notre passé perdu est retrouvé en éternel. Aujourd’hui une lumineuse épure géométrique hors de tout imaginaire peut remplacer les obscures fulgurances de la poésie mythique de Nietzsche.

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