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5 juin 2013 3 05 /06 /juin /2013 08:47

La science moderne a donné naissance à la science-fiction. La science-fiction a, quant à elle, enfanté un des mythes les plus populaires du monde moderne : le voyage temporel. Le plus surprenant est que ce mythe n’est pas resté cantonné à son domaine propre, celui de la littérature de fiction et d’anticipation.

 

Il est devenu au vingtième siècle un sujet de discussion pour des savants et des philosophes, des gens qui en principe ne font pas dans l’imaginaire et la fantaisie. Tous ont l’air de se poser sérieusement la question : « Le voyage dans le temps est-il possible ? » Cette dérive a apparemment été suscitée par les thèses d’Einstein sur la relativité restreinte et la relativité générale. Celles-ci en effet ôtent au temps son caractère absolu, le réduisent à n’être que la quatrième dimension d’un espace-temps. Alors si l’on peut se déplacer selon les trois dimensions de l’espace, pourquoi pas aussi selon celle du temps ?

 

Qu’il s’agisse de fiction, de science ou de philosophie, je trouve qu’on a écrit et qu’on écrit énormément d’âneries sur ce sujet. Alors je ne vois pas pourquoi je ne m’y mettrais pas aussi sans tenir compte de mon absence de compétence scientifique ou philosophique. Ce n’est pas que j’aie l’intention délibérée de soutenir moi aussi des âneries. Au contraire, je cherche avant tout à exprimer des réactions qui me semblent être de bon sens. Mais je suis bien conscient qu’il est insensé de vouloir dire des choses sensées sur un sujet a priori insensé. Je sais que je m’expose moi aussi à de folles dérives.

 

Tout d’abord, je prendrai la question du voyage temporel à contrepied. Car il tombe sous le sens que ce n’est pas une possibilité, mais une réalité, et même une nécessité de tous les instants. À chaque seconde nous voyageons vers la seconde suivante. Nous venons du passé et allons vers l’avenir, que nous avons d’ailleurs l’impression d’inventer à mesure. Et il nous semble impossible de nous arrêter le long de l’axe temporel. Les bonnes questions seraient donc : « Pouvons-nous arrêter notre voyage temporel ? À défaut, pouvons-nous l’accélérer ou le ralentir, c’est-à-dire en fait aller plus vite ou plus lentement que le reste du monde ? Pourrions-nous même, après avoir ralenti jusqu’à nous arrêter, inverser le sens de notre voyage, aller de notre dernier présent vers le passé ?

 

Autant que je sache, la science non spéculative mais expérimentale répond aujourd’hui à une de ces questions, en conformité avec la relativité restreinte : il paraît en effet qu’un voyage très rapide dans l’espace fait ralentir le temps du voyageur par rapport au temps d’un observateur resté à terre. Son horloge se met à retarder. Un voyageur spatial vieillit moins vite que les observateurs restés à terre. Son présent est donc passé par rapport au présent de ces derniers. Mais il serait absurde de dire qu’il fait un voyage vers le passé. Lui aussi, comme les autres, voyage dans son présent vers l’avenir, mais moins vite.

 

Une première objection vient à l’esprit, mais a été, paraît-il, levée par le recours aux effets de la gravité. En effet, si deux objets s’écartent très vite l’un de l’autre, sans des phénomènes liés à la gravité (inertie), on ne saurait pas lequel est effectivement en mouvement. Alors lequel, dans ces conditions, vieillit moins vite ? Ou peut-être qu’ils se déplacent tous deux. Est-ce alors le plus rapide qui vieillit moins vite ? Et s’ils vont à la même vitesse ?

 

Mais il y a d’autres problèmes qui me laissent perplexe. Nulle part dans les textes de vulgarisation scientifique je ne suis arrivé à obtenir la précision suivante : est-ce la vitesse qui fait vieillir moins vite (qui retarde une horloge), ou est-ce le grand éloignement que provoque un déplacement rapide. Surtout, si le voyageur spatial revient vers son point de départ toujours à grande vitesse, est-ce qu’il continue à vieillir moins vite ? On nous raconte qu’un voyageur spatial revient plus jeune que son jumeau. C’est en soi une invraisemblance. Comment peut-il alors serrer la main à son jumeau s’il vit dans un présent qui n’est pas le présent de son jumeau ? Cette poignée de main appartiendrait à deux présents à la fois décalés et simultanés !

 

Mon opinion toute personnelle est donc que pour revenir sur terre et au présent des terriens, il faudra que le voyageur spatial se mette à vieillir plus vite, à mettre les bouchées doubles, pour rattraper le temps des terriens. En ce cas, ce n’est pas la vitesse qui provoque le décalage temporel, mais la distance, que le retour annule. Comme si les zones éloignées de l’univers étaient moins avancées dans le temps que la nôtre. On peut l’interpréter en suggérant, selon la théorie de la relativité générale, que notre univers spatial actuel est courbe dans l’espace-temps. Si deux fourmis sont au sommet d’un ballon rouge qui gonfle, elles montent toutes deux. Si l’une se met à descendre vers le bas du ballon, moins vite que le ballon ne monte en gonflant, elle monte toujours, mais moins vite que sa compagne.

 

Jusque là, et avec cette précision, il me semble que le bon sens ne souffre pas trop. De même, dans un train, le passager qui marche vers l’arrière du train va moins vite que le passager assis (mais s’il marche vers l’avant, il va plus vite). Le train tout entier représente le présent de l’espace-temps, c’est-à-dire sa surface tridimensionnelle. Mais certaines parties sont un présent décalé par rapport à celui d’autre parties. De même encore, le pied d’une montagne est plus bas que le sommet, mais n’est pas pour autant sous la terre. Pas plus que le marcheur qui descend de la montagne ne va sous terre, le voyageur spatial ne quitte le présent de l’espace-temps. Il ne va pas dans le passé de l’univers, bien que son présent soit décalé par rapport à celui de l’observateur immobile.

 

Tout ceci n’a rien à voir avec un voyage temporel imaginaire. Il ne s’agit que de ralentissement de notre voyage temporel réel. Même l’arrêt de ce voyage, pour lequel il faudrait sans doute la vitesse de la lumière, est impossible. La fourmi va son bonhomme de chemin sur la surface du ballon rouge. Cette surface est le présent de l’espace-temps. Elle ne le quitte pas, même lorsqu’elle se trouve dans une zone éloignée dont le présent est en retard par rapport à celui du sommet. Au contraire, le voyage temporel imaginaire a, lui, tout d’un tour de passe-passe. Une fourmi sur la surface d’un ballon qui gonfle en disparaît soudain, et réapparaît aussitôt ailleurs. Mais c’est un ailleurs temporel qui n’est plus à la surface du ballon. Ce n’est plus un présent.

 

Où donc est cet ailleurs ? Soit au-dessus, soit au-dessous de la surface (c’est-à-dire du présent de l’espace-temps). Au-dessus, c’est le futur. Mais rien n’indique que le futur existe, qu’il ait la moindre consistance. Au-dessus semble être un lieu de nulle part, ni temporelle, ni spatiale. Au-dessous, c’est le passé. C’est plus consistant. Mais alors, il ne faut pas que le ballon rouge qui gonfle soit vide. Il faut qu’il soit plein comme un fruit en pleine croissance, plein de tous ses états passés qui auraient cessé d’être un présent, d’être une surface, la peau du fruit. Le passé serait devenu, avec une dimension de plus que la surface, la pulpe du fruit

 

Un voyage imaginaire me paraît moins inconcevable vers le passé que vers le futur, sauf si l’on croit que le futur est dès à présent consistant. Mais en ce cas nous ne serions plus à la surface de l’espace-temps. Nous serions dans son milieu. Il n’y aurait plus de surface, plus de présent, ou seulement un présent qu’on emporte à la semelle de ses chaussures. Nous serions à l’intérieur du fruit. Mais si nous ne sommes plus attachés à une surface, comment se fait-il que le voyage imaginaire vertical, vers le haut (futur), ou vers le bas (passé), soit incomparablement plus difficile que le voyage horizontal (celui que nous faisons dans notre espace tridimensionnel) ?

 

Notre attachement  indéfectible au présent de l’espace-temps me fait penser que ce présent est une surface et que nous-mêmes ne sommes que la surface de nous-mêmes. Le futur n’est que le lieu virtuel vers lequel s’étend l’univers, ou l’espace-temps, et nous avec lui. Autrement dit le voyage vers le futur ne peut être que notre voyage réel de chaque instant. Le seul but qui peut s’offrir à un voyage temporel imaginaire, c’est le passé. Il faut entrer dans le fruit. Et pour les êtres de surface que nous sommes, ce n’est pas simple. Il nous faut trouver un trou.

 

En fait de trou dans la surface de l’espace-temps, l’astronomie moderne aurait un candidat : le trou noir. Selon la relativité générale, c’est un lieu où la densité de masse est si forte que la texture de l’espace tridimensionnel  (la surface) ne se contente pas de s’affaisser, mais s’effondre. Même la lumière est avalée par un trou noir. Mais il nous faut malheureusement renoncer à user d’un trou noir comme d’un puits vers l’intérieur de l’espace-temps. En effet, cette densité de masse extrême nous détruirait avant même que nous ayons pu approcher du trou noir.

 

À défaut de piste scientifique, il me faut recourir à l’imaginaire et aux métaphores qui le nourrissent. Je serai donc désormais déraisonnable. J’ai déjà comparé l’espace-temps à un fruit qui grossit. Imaginons donc une pomme. On peut alors penser à un trou d’asticot, qui donnerait accès à l’intérieur du fruit depuis la surface, sans la catastrophe d’un effondrement gravitationnel. Mais alors il faut expliquer l’asticot, et dire pourquoi nous ne voyons pas ce trou de ver qui perce la surface, c’est-à-dire notre univers tridimensionnel. Double complication.

 

Eh bien, persistons dans la folie, changeons de métaphore. Les Anciens comparaient la vie humaine à un fil de laine torsadé par une Parque, la Fileuse. Le moi d’aujourd’hui est au bout de ce fil, juste entre les doigts de la Parque qui me poussent vers mon futur. Je n’ai donc qu’à échapper à la Fileuse, me glisser entre les brins qu’elle file pour redescendre vers mon passé. Stop ! Demi-tour ! Le fil plongeant de mon passé sera mon fil d’Ariane. Il saura bien me guider parmi ces milliards de fils entremêlés. Plus besoin d’asticot complaisant, car ce sera moi l’asticot.

 

Rêvons donc d’un fil de tricot plutôt que d’un trou d’asticot. Mais je ne vois pas encore comment je pourrais, moi, infime bout de fil en surface d’univers, descendre le long du fil. Par quel impensable reniement pourrais-je quitter ce que je suis maintenant, la laine présentement livrée aux torsions de la Fileuse? Certes, ce reniement ne viserait que ma surface. Car je suis aussi, et surtout, du passé, du passé maintenant solidement établi et inamovible sous la surface où je cherche à plonger. Mais une telle volte-face ne peut être qu’immatérielle, je ne peux entraîner avec moi ma laine d’aujourd’hui. Et je ne peux tomber dans le puits de mon  passé qu’en fantôme glissant le long des fibres de ce passé.

 

Inventons donc comme un phénomène de capillarité inimaginable : un peu de moi-même logé au bout du fil de laine quitte ce bout de fil et descend entre les fibres. Qu’adviendrait-il à cette infime humeur de surface tombée par extrême oubli de soi le long d’un cordeau plus qu’improbable plongeant dans les profondeurs du temps ? Soyons généreux avec elle. Admettons encore qu’elle garde avec elle quelque chose comme une conscience de son présent au cœur du passé. Puisque nous nous sommes mis à voyager dans l’illogisme, admettons même qu’elle garde un vague souvenir de son passé, or c’est justement le long de ce passé qu’elle voyage.

 

Il lui serait fort comique de voir défiler ce passé à rebours. Comme si on visionnait une vidéo à l’envers. Par exemple la course à reculons d’un troupeau de poules quand elles voient s’envoler devant elles les graines qui étaient au sol. Rien de plus désopilant. Le plongeur temporel pourrait aussi s’arrêter de temps en temps sur une image fixe, en choisissant de préférence les bons moments du passé. Il pourrait aussi remonter vers la surface, soit en accéléré (autre effet comique), soit au ralenti (au cinéma, c’est souvent très beau), soit à vitesse normale : relire une nouvelle fois sa vie, mais en connaissant la suite, ce qui fait une sacrée différence... Il aurait donc de quoi s’amuser.

 

En admettant qu’il ait pu emporter avec lui quelque chose comme une conscience, il pourrait donc voir beaucoup de choses. Il pourrait même bifurquer vers d’autres fils que la seconde Parque, la Tricoteuse, a noués au sien. Il pourrait ainsi, de carrefour en carrefour, remonter très loin dans le passé des autres pour vérifier si les ouvrages historiques disent la vérité. Mais en aucun cas il ne pourrait être vu, car il ne peut être qu’un fantôme, une vapeur invisible insonore et inodore. D’ailleurs s’il avait été visible, nous en aurions des témoignages venus du passé. Ainsi Stephen Hawking ne croit pas à l’existence de voyageurs partant de leur présent vers leur passé, car, dit-il, on n’en a jamais vu dans le passé. En effet, les fils du présent ne peuvent venir se mêler aux fils du passé et ne peuvent donc les déranger.

 

Dans son gouffre d’invisibilité (l’Hadès), notre voyageur est comme un projectionniste au fond des salles obscures. Il peut faire défiler les images dans le sens qu’il veut. Il peut les arrêter. Il peut faire vivre ou revivre le passé, avec peut-être pour lui des émotions renouvelées et même inédites. En le revoyant, il peut découvrir tant de richesses insoupçonnées. Il peut ainsi modifier pour lui le sens des faits, mais il ne peut pas changer les faits. Pas question donc de tuer un grand-père, ni même d’écraser un brin d’herbe. Le passé ne craint rien d’un intrus qui viendrait de son futur. Un Nemrod qui serait amateur de chasse au dinosaure doit trouver un autre terrain de chasse.

 

C’est plutôt notre intrus qui est en danger, et même plus qu’en danger. En effet il ne pourra jamais rejoindre la surface du présent d’où il vient. Car pendant son exploration, cette surface a continué à se modifier en s’inventant un futur dont il s’est exclu. Le présent d’où il vient est donc devenu un passé de l’espace-temps. Mais il y a pire. Tout ce qu’il pourrait croire avoir vécu dans son exploration n’est pas advenu, ne s’est pas ajouté au fil de sa vie : il n’est plus acteur, seulement témoin. La Fileuse a cessé de le filer et la troisième Parque, l’Inflexible, a coupé le fil. Une conclusion s’impose : du moment qu’il a quitté la surface du présent pour partir en quête du passé, il a perdu sa place et son ouverture vers le futur : il est mort ! Même si ses chemins d’invisibilité se prolongent dans les zones nouvelles de l’espace-temps, il peut sans doute aller visionner ces zones où il est mort. Mais pas question pour lui de refaire surface : il ne peut redevenir acteur du film de l’univers.

 

Je sais qu’on peut lire ça et là des récits fantastiques de résurrection. Mais j’observe qu’aucun d’eux ne précise l’âge du ressuscité au moment où il ressuscite. Logiquement ce serait l’âge qu’il avait au moment de sa mort. Il y aurait alors un trou dans son existence. Et il lui faudrait arriver à recoller avec son passé par delà ce trou. Ceci n’est pas comparable au cas des gens qui sortent d’un coma : eux n’ont pas voyagé. Ils n’ont jamais quitté le présent auquel ils sont restés attachés, même si ce fut par un fil très faible. C’est ce fil ténu appartenant à la texture du présent qui leur permet de renouer, plus ou moins facilement, avec leur passé.

 

Ami lecteur qui as eu le courage de tricoter avec moi ce petit voyage temporel, admire comme en est simple la maille. Point ici de paradoxe, ni de boucle, ni de rupture causale. Seulement deux points, à l’endroit et à l’envers comme il se doit.

 

1) D’abord, nous avons découvert que le voyage temporel vers le futur, c’est la vie. Cette évidence a été fort bien dite dans une page du net, une page admirable d’humour et de… bon sens : « Voyager dans le futur. C'est très simple. Il suffit d'attendre »

(desencyclopedie.wikia.com/wiki/Voyage_dans_le_temps

 

2) Puis nous avons découvert que le seul voyage temporel dans le passé que nous puissions accomplir revient à mourir. Dans la page évoquée ci-dessus, une « nana aux cheveux bleus » énonce, pour sa part, une formule renversante : « Pour voyager dans le passé, il suffit d’attendre en sens inverse ». Je crois pouvoir en déduire que mourir, ce n’est pas cesser d’attendre, mais attendre… le passé.

 

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