Un beau jour d’automne, ayant trouvé un gland, je le mis en terre.
J'avais été initié à la pensée de Bergson, que je croyais avoir comprise,
c'est pourquoi je dis à mon gland:
« Deviens ce que tu es ».
Quelle ne fut pas ma surprise de l'entendre ricaner:
« Pourquoi me donner ce conseil?
Comment pourrais-je devenir autre chose qu'un chêne?
Même si je voulais devenir un pommier, je ne le pourrais pas ».
« Ce n’est pas ce que je voulais dire », me défendis-je,
« Je voulais dire: Deviens le chêne unique que tu es,
celui qui correspond à ton identité actuelle entre tous les chênes ».
Il ricana encore: « Je suis certes un gland unique,
mais j'ai fort peu à voir avec le chêne unique que je serai peut-être un jour.
Autant que de moi,
il dépendra du soleil, de la pluie, du vent, des sels minéraux de la terre,
des arbres qui seront ses voisins, des tourments que lui infligeront tes semblables.
Une seule chose en fait dépend de mon choix actuel,
c'est de devenir ou de ne pas devenir, c'est-à-dire de pourrir ».
« J'ai compris », répondis-je, « Alors deviens, et ne gland-ouille pas trop ».