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25 février 2009 3 25 /02 /février /2009 16:09
Il arrive assez souvent qu’un rêve que l’on vient de faire en dormant nous étonne à notre réveil. Il m’est même arrivé alors d’éclater de rire au souvenir d’aspects saugrenus de certains de mes rêves. Cette expérience est banale, mais nous devrions être étonnés d’être ainsi étonnés par nos rêves. En général en effet, quand nous rêvons, nous sommes fermés à toute communication externe. Tout ce qui se passe dans nos rêves ne vient que de nous et ne devrait donc pas nous étonner. Bien rares sont les cas où un bruit extérieur, ou une lumière, à force d’insister, finit par franchir la barrière du sommeil et vient perturber notre rêve. D’ailleurs, même alors, l’élément perturbateur, le plus souvent, n’a en lui-même rien d’étonnant. Mais, comme il se traduit dans notre rêve par quelque chose qui n’a pas ou très peu de rapport avec lui, ce quelque chose peut nous étonner. Il est clair que cela vient encore de nous-mêmes, non de l’extérieur.
La théorie psychanalytique, semble-t-il, explique cette bizarrerie par le concept du subconscient. Là-dedans seraient jetés pêle-mêle et cachés de vieux souvenirs dangereux pour notre moi conscient. À la faveur du rêve, certains de ces souvenirs occultés tenteraient de refaire surface vers la conscience, mais celle-ci alors les déformerait pour leur ôter leur virulence. Ce serait la raison pour laquelle nos rêves peuvent étonner notre moi conscient.
Peut-être cette description du subconscient est-elle simpliste et naïve. En tout cas, elle repose sur le très vieux cliché de l’âme comme un meuble à tiroirs plus ou moins secrets, ou comme une maison avec une cave où serait entreposé un sac plein de vieilles choses. Le rêve serait une descente dans la cave. À travers la toile du sac pointent des formes bizarres que notre moi se refuse à identifier. Cette vision de l’âme comme un espace avec des lieux ou des étages remonte au moins à la conception de l’âme selon Platon. L’âme, ou l’esprit, y devient un espace, une chose, qui peut se passer finalement du corps et devenir immortelle.
La science et le matérialisme modernes donnent une vision différente. À ce qu’il me semble, ce que nous appelons âme, ou esprit, n’y est plus une chose plus ou moins autonome, mais une activité indissociable de son support matériel. Il paraît qu’on peut distinguer des types différents d’activité selon les zones du cerveau où elles se produisent. Je n’ai pour ma part aucune compétence en la matière. Voici pourtant comment j’essaie de me représenter cette conception nouvelle, que je préfère à la traditionnelle.
Notre personnalité tiendrait à l’ensemble infiniment complexe de connexions neuronales qui est mis à notre disposition. Ces connexions s’établissent dans une sarabande continue et s’enrichissent peu à peu. À partir d’un certain degré d’intensité, elles forment des sous-ensembles qui se traduisent en représentations (le sommeil sans rêve et la perte de connaissance correspondraient donc à une activité réduite, mais non nulle, ce qui serait la mort cérébrale). Ces représentations se répètent avec des variations qui n’empêchent pas une impression d’unité maintenue, de façon non statique, mais évolutive. C’est que les ensembles de connexions gardent un fonds commun qui fait l’unité de la personne (sauf apparemment en cas de schizophrénie). Lorsqu’un ensemble de connexions se répète avec peu de variations, il se produit en plus un effet de souvenir, de familiarité. Si les variations sont plus fortes, sans pour autant atteindre le fonds commun, il se produit au contraire un effet d’inédit, la surprise.
Bien sûr, nos représentations proviennent d’abord de nos communications sensorielles avec l’extérieur. Un ensemble de perceptions provoque un ensemble de connexions neuronales qui se traduit en une représentation. Si la perception ne correspond à rien de déjà éprouvé, elle suscite un ensemble inédit de connexions neuronales qui se traduit en une représentation nouvelle. Mais nous sommes capables de reproduire en nous-mêmes les ensembles de connexions neuronales et les représentations qui leur sont associées, même sans stimulus sensoriel. Les représentations en sont cependant alors comme atténuées. C’est ce qui doit se passer pendant nos rêves, avec cette différence que, puisque le système sensoriel est alors déconnecté du cerveau, la différence de vigueur dans la représentation apparaît moins.
Nous sommes même capables de recombiner plusieurs ensembles de connexions neuronales nées de perceptions réelles, en les trafiquant. C’est ainsi que sont suscitées nos représentations de monstres, et que naît l’imaginaire (du réel recomposé), mais aussi nos représentations abstraites (du réel décomposé).
De telles capacités suggèrent que notre activité neuronale a sa propre dynamique qui échappe au moins partiellement aux effets du monde extérieur. D’abord phénomène de réaction et d’adaptation au monde, l’activité neuronale se développe aussi par sa propre inertie, donc en liaison avec son passé. Sans doute pourrait-on l’imaginer comme mue par une force acquise, force obscure qu’on peut appeler force subconsciente.
Il est logique de penser que les représentations de nos rêves découlent d’ensembles de connexions déjà apparus, mais recomposés et trafiqués par cette force obscure d’inertie personnelle. La part des souvenirs y est plus ou moins forte, mais il y a toujours une part d’inattendu, de fantaisie apparente. Les rêves les plus étonnants sont donc ceux où la force agissante nous est la plus obscure, sans doute parce que venue d’un passé plus lointain et plus complexe...
Mais je ne suis pas très sûr que cette « explication » soit satisfaisante. J’ai parlé d’une force d’inertie qui aurait sa source dans notre passé. Je me demande s’il ne faut pas préciser que cette force est rendue aléatoire (on pourrait dire «quantique ») par l’extrême complexité des connexions neuronales. Force du passé, cette force d’inertie serait aussi une force de l’avenir, un potentiel, qui pourrait aller d’elle-même, sans sollicitations extérieures et sans réelle prédétermination, là où elle n’est jamais allée. En ce cas, nous pourrions être vraiment étonnés par un rêve insolite, aussi bien que par la découverte d’un objet insolite.
Je voudrais tester cette hypothèse sur un rêve que j’ai fait récemment et qui m’a beaucoup étonné à mon réveil. Je me demande si le seul fait de le raconter me permettra d’établir des liens, des connexions, avec des événements de ma vie passée, ou bien si sur un point donné le rêve ne décroche pas de ses prédéterminations.

Quand le rêve commence, je me vois entrant dans une espèce de salle de spectacle en amphithéâtre. La salle est déjà pleine d’une foule anonyme et d’autres personnes entrent en même temps que moi. Ainsi perdu dans la foule, je me rends compte qu’au-dessus de la scène se trouve un écran de télévision et que les images qui défilent sur l’écran sont le film des gens qui entrent. C’est une expérience que nous vivons assez souvent aujourd’hui, sans doute pas dans une salle de spectacle, mais dans des lieux de grand public mis sous surveillance, par exemple dans une gare ou un bureau de poste.
Bien entendu, j’arrive assez vite à me reconnaître sur l’écran dans la presse des gens qui entrent. Mais il se produit un premier décalage. Comme la caméra filme la scène sous un autre angle que celui de ma propre vision, les gestes qu’elle me prêtent ne me paraissent pas tout à fait identiques à ceux que j’ai l’impression de faire. Ceci aussi est une expérience que j’ai déjà vécue.
Advient alors une première complication. Alors que je continue à avancer vers les gradins pour prendre place parmi la foule anonyme, je me rends compte que mon image sur l’écran est en retard sur moi. Tout se passe comme si l’image était diffusée après quelques secondes, ce qui fait que je suis déjà assis alors que sur l’écran mon image avance encore. Je n’arrive pas à me rappeler si j’ai jamais vécu cette expérience. Mais il me semble que c’est techniquement réalisable. Les informations télévisées nous montrent parfois des phénomènes analogues de retard à l’image : l’interviewer, qui est à Paris, pose une question ; l’interviewé, qui est de l’autre côté de la terre, ne répond pas tout de suite. Un décalage est provoqué par le temps nécessaire à la transmission des images et des sons. Ou alors un discours est diffusé en même temps par deux chaînes. Mais si on zappe rapidement de l’une à l’autre, on constate un léger décalage. Je ne suis donc pas tellement étonné par l’observation d’un décalage temporel entre moi déjà assis, et mon image qui marche encore.
Mais vient ensuite une seconde complication et, cette fois, j’ai de quoi m’étonner. En effet, mon image sur l’écran, au lieu de finir par s’asseoir comme moi, ainsi que ferait toute sage image, continue à avancer vers la scène, où je ne suis jamais allé. Cet acte d’indocilité d’ailleurs ne lui suffit pas. Voici que mon image sur l’écran, arrivée devant la scène, sort un peigne de sa poche (je n’ai jamais de peigne dans ma poche) ; voici qu’elle coiffe ses cheveux et l’on voit sur l’écran que les dents du peigne séparent de longs cheveux en traits parallèles. Or je porte depuis longtemps les cheveux très courts, car ils sont trop indociles (eux aussi), et je jugerais inconvenant de me coiffer en public. D’ailleurs mon image sur l’écran ne se satisfait pas de cette première inconvenance : voici qu’elle fait un petit geste désinvolte et même impertinent à l’égard du public anonyme où je me trouve.
Le rêve semblait avoir dit tout ce qu’il avait à dire. En tout cas, il n’est pas allé plus loin. À mon réveil, je me le rappelle immédiatement et je ris. D’étonnement bien sûr, mais aussi de gaieté. L’histoire me paraît amusante, et m’évoque ces romans ou ces films fantastiques où une ombre ou bien un reflet cesse d’obéir à son maître. Mais ces histoires m’étaient données comme des fictions, alors que mon rêve, dans mon rêve, m’était réalité : je pouvais rire une fois réveillé, mais, dans mon rêve, j’avais à être scandalisé. Par la désobéissance sans doute, mais aussi par l‘impertinence. Le scandale ressenti est d’ailleurs peut-être ce qui a immédiatement interrompu le rêve.
Alors je m’interroge. Cette image indocile sur l’écran a-t-elle en moi-même ses obscurs déterminants ? Si oui, lesquels ? Je me souviens que dans mon adolescence (c’est très loin dans le passé), il a été question un jour pour moi de « vêtir mes cheveux sous les yeux des filles ». Coiffer ou « vêtir » des cheveux longs, c’est le geste d’une adolescence à la fois impertinente et soucieuse de son image. Il y a peut-être ici une direction de recherche. Mais pourquoi la connexion avec l’image indocile ?  Au fonds, la question qui l’emporte sur toute autre est : pourquoi m’intéresse-t-elle tant, cette histoire d’image indocile, impertinente et soucieuse d’elle-même ? Pourquoi l’ai-je racontée, après avoir tenté de me donner une représentation acceptable de l’activité de mes synapses neuronales ? La réponse est sans doute dans la question, et c’est avec du vieux qu’on fait du neuf. En tout cas, c’est ici que je m’arrête.
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