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1 mars 2009 7 01 /03 /mars /2009 09:19
Je crois comprendre pourquoi le désir est important pour ACS, et pourquoi il ne veut pas qu’il soit un manque. C’est qu’il souhaite une « conversion » au monde et à ses bonheurs. Cette conversion est en même temps le rejet des consolations promises par les religions dans l’au-delà. Je pense que c’est là la clé de son athéisme. Il fait partie de ces philosophes francophones contemporains qui construisent une philosophie du bonheur sur terre, un retour à l’épicurisme. Mais il a voulu aussi argumenter son athéisme, en particulier dans le chap. 8 « L’athéisme »  de Une éducation philosophique.

Il présente cinq arguments qui peuvent être regroupés. Deux sont négatifs, absence de preuve réelle de Dieu et valeur explicative nulle de l’inexplicable par de l’inexplicable (p. 116-119). Des trois arguments positifs, deux sont proches l’un de l’autre : l’argument du mal (p. 122 : « le plus fort »), argument décisif pour ne pas croire en un Dieu parfait, selon Marcel Conche, et celui de la médiocrité humaine, la médiocrité de la créature ne suggérant pas non plus un créateur parfait (p. 124-125). Reste un dernier argument qui « peut surprendre davantage » (p. 125) et qui en effet surprend, mais en fait pas tant que cela après ce qui a été dit ci-dessus de la pensée de ACS. « Si je ne crois pas en Dieu », dit-il, « c’est aussi, et peut-être surtout, parce que préfèrerais qu’il existe ». Ce qui revient à dire que Dieu, c’est trop beau pour être vrai (p. 126).

Donc ACS ne veut pas « prendre ses désirs pour la réalité ». Je pense qu’en fait il ne veut pas prendre pour réalité seulement les désirs qui lui paraissent trop inaccessibles. Il veut se contenter de ceux qui sont à sa portée, conformément à sa conception du désir et à son refus de la frustration. Il est donc sur ce point toujours cohérent avec lui-même. Je le suivrais cependant volontiers dans ce mouvement de conversion qui l’éloigne des mirages d’une vie surnaturelle hypothétique pour l’attacher aux plaisirs plus modestes peut-être, mais bien réels, de la vie ici-bas. C’est, comme il le dit, le pari de Pascal à l’envers.

J’objecterai cependant que je ne vois pas en quoi les promesses de la religion sont pour ACS si attirantes aujourd’hui. Quelles sont donc ces félicités qui nous consoleraient de la souffrance et de la mort ? Les religions ont des réponses qui divergent. Il y a des cas où les félicités promises paraissent très matérielles : ce sont des festins, ou ces « houris » qu’évoque le Coran. Mais sont aussi promises des félicités plus spirituelles, qui culminent dans la contemplation de Dieu. C’est là le côté extatique des religions monothéistes. Dans la religion chrétienne, est prévue, je crois, une « résurrection des corps ». Mais ce seront des « corps glorieux ». je suppose donc que ces corps n’auront pas de fonctions organiques, ni les plaisirs qui peuvent les accompagner. Auront-ils des yeux pour contempler ?

La grande difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, de séparer l’âme du corps se révèle dans ces ambiguïtés. Les religieux n’arrivent pas à évoquer les félicités promises en termes qui ne soient pas corporels et terrestres. Il faudrait comprendre que festins et houris sont des images pour des félicités plus spirituelles. De tels propos s’inspirent de Platon qui, dans Phédon, évoquait les beautés de la « terre supérieure » comme des beautés du même type que celles de notre terre, mais magnifiées (110b-111a : couleurs plus éclatantes, pierres plus pures…). Ce paradis reste donc terrestre, c’est simplement une terre non corrompue.

Le véritable divorce d’avec les bonheurs de la terre, les religieux n’y parviennent qu’au prix du silence. Ils suivent en cela encore Platon, mais cette fois celui de Phèdre, lorsque Socrate évoque le « lieu supracéleste » qu’aucun poète n’a jamais chanté et ne chantera jamais, car cette réalité-là est « sans couleur, sans figure et intangible » (247c). Ici donc l’imagination s’arrête. Mais l’imagination est habituellement le moteur de notre désir. Comment désirer quelque chose dont on ne peut rien dire, même en images ? Ou alors, il faut admettre l’existence d’un désir sans contenu, comme il y a une peur sans contenu, qu’on appelle l’angoisse.

Eh bien, contrairement à Pascal, contrairement aussi à ACS, je n’ai pas envie que tout cela soit vrai dans un au-delà. Tout simplement parce que je considère que je l’ai ici-bas.  En précisant toutefois qu’il ne s’agit pas de couleurs plus éclatantes, mais de moments, d’événements où les couleurs sont plus éclatantes. Et même ce qu’on appelle l’extase, ce moment de joie sans cause et de désir sans contenu, je crois savoir, à mon humble niveau, que cela existe ici-bas, même sans Dieu et ses saints. C’est d’ailleurs ce qu’a voulu soutenir Jean-Claude Bologne dans Le Mysticisme athée (1995, éditions du Rocher).

Mais alors, et l’immortalité, et l’infini, lequel emporterait la décision, selon Pascal ? Comment se résoudre à n’être qu’éphémère ? J’ai déjà ci-dessus suggéré ma réponse personnelle : de ma naissance à ma mort, je me représente comme un « être-temps », un événement, inamovible et définitif dans l’espace-temps. Je n’ai donc pas besoin d’une autre vie. Qu’en ferais-je ? Nous sommes embarqués, nous dit Pascal. Il faut donc parier, il a raison sur ce point et les agnostiques ont tort. Mais je mets toute ma cargaison dans le même bateau pour une seule traversée. D’ailleurs je n’en vois pas d’autre, car je ne suis pas le bateau, mais la traversée.

Cela revient à dire que je n’ai pas besoin d’un Dieu. L’univers me suffit. Et il m’agrée bien plus que ne le ferait un Dieu. D’abord parce qu’un Dieu, fatalement, je me le construirais à mon image, selon mes désirs passés et actuels, qui le limiteraient. L’univers en revanche s’impose à moi et m’échappe toujours, malgré tous les progrès de la science : il est donc toujours ouvert à des désirs nouveaux. Ensuite parce que l’univers est comme moi, il a une frontière qui se déplace : c’est le présent. Cela veut dire qu’il est non fini, qu’il soit infini ou, plutôt, illimité (ce qui n’est pas la même chose). Non fini, il est donc, contrairement au Dieu qu’on s’invente, imparfait. C’est au moins une explication, sinon une justification (qui demeure impensable), de la souffrance et de la cruauté dans le monde des hommes. Le scandale en est moins étouffant, ce scandale qui devrait demeurer au travers de la gorge des philosophes du bonheur.

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